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Art et méditation - mai 2020

Raphaël (Urbin, 1483 – Rome, 1520), Vierge avec l’Enfant et Saint Jean Baptiste (dite La Vierge au chardonneret), avant février 1506, huile sur bois, cm 107x77, Florence, Galerie des Offices.

Mois de mai.

La particularité du panneau de Raphaël n'est pas tant le sujet (la Vierge était souvent représentée avec le petit Jésus et son cousin Jean Baptiste) mais le choix de mettre la scène dans un espace totalement ouvert. Le bois a été fait pour Lorenzo Nasi, qui le voulait dans sa maison florentine à l'occasion de son mariage avec Sandra Canigiani, qui a eu lieu le 23 février 1506.

La famille Nasi était une famille importante et riche de marchands florentins, spécialisée dans l'importation de l'étranger des tissus bruts qui étaient ensuite finement travaillés et exportés en tant que tissus de haute qualité. Après quelques décennies, le précieux tableau a été endommagé lors de l'effondrement de la maison Nasi le 12 novembre 1547. Une importante restauration a récemment été effectuée et lui a rendu son ancienne beauté.

La scène est très simple. Dans un très bel espace ouvert, la Vierge, qui lit en tenant le petit Jésus entre ses jambes, accueille Jean, le fils de sa cousine Elizabeth, arrivé à gauche. Au centre du triangle idéal que l'on pourrait dessiner à partir de la tête de Marie, son sommet, on remarque le petit oiseau qui donne également le nom au tableau. C'est un chardonneret, qui a été apporté par Jean (il le tient toujours dans sa main) et qui est caressé par Jésus. Entre les deux enfants, nous pouvons remarquer le jeu des regards, tout comme nous ne pouvons pas négliger l'autre regard, celui de Marie qui se pose d’en haut sur Jean. C'est un regard presque étonné, car selon la tradition, quand le Christ a été crucifié, le chardonneret ainsi que le rossignol et le pinson ont essayé de retirer la couronne d'épines de la tête de Jésus. Bien qu'il ait échoué, à partir de ce moment-là, son plumage, autour du bec, a été coloré à jamais avec le rouge du sang du Christ, un témoignage éternel de la tentative naïve de trois petites créatures ailées pour soulager la douleur atroce du Seigneur Jésus.

La présence du chardonneret est donc une référence évidente à la Passion de Jésus, mais cela ne provoque ni confusion ni peur, comme en témoigne le fait que Marie caresse Jean et semble presque le tenir de la main droite. De plus, Marie se souvient certainement des paroles que lui a adressées le prophète Siméon quand avec Joseph elle a amené Jésus au Temple à Jérusalem pour la présentation rituelle au Seigneur: «Voici que cet enfant provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël. Il sera un signe de contradiction: ainsi seront dévoilées les pensées qui viennent du cœur d’un grand nombre. Et toi, ton âme sera traversée d’un glaive» (Luc 2, 34-35).

Nous pourrions ajouter d'autres choses par exemple sur la gamme de couleurs – qui trouvent leur apogée dans le bleu du manteau de la Madone qui se reflète presque dans le ciel ou dans la grande variété de verts qu'un printemps luxuriant a fait fleurir dans un paysage qui s'enfonce profondément jusqu’à la ville en arrière-plan – ou sur les dérivations que Raphaël a pu emprunter à ses deux plus grands génies contemporains (la composition pyramidale du carton de Léonard avec la Vierge à l'enfant avec sainte Anne ou la statue de la Vierge à l'enfant que l'année précédente Michel-Ange avait sculptée pour un marchand de Bruges).

Nous aimons conclure en revenant à l'histoire tourmentée de ce tableau. En 2008, une importante restauration a été achevée : elle a rendu la couleur d'origine que le tableau avait avant 1547. Lorsque la maison de la famille Nasi s'est effondrée, les chroniques de l'époque disent que le propriétaire était plus soucieux de récupérer les fragments de la splendide œuvre de Raphaël que le reste. Et ainsi, à partir des décombres de cette maison, a repris forme un magnifique témoignage de culture, d'histoire, de foi et de beauté. En cette période de pandémie, de même que le propriétaire du tableau, nous espérons de pouvoir remettre ensemble les morceaux de nos existences, de retourner à la vie, au sourire, à la joie.

En ce mois de mai, traditionnellement dédié à Marie, nous Lui confions nos vies, nos angoisses, nos espoirs, nos peines – en contemplant la Vierge au chardonneret – avec une antienne remontant aux premiers siècles du Christianisme :

Sous l'abri de votre miséricorde, nous nous réfugions,

Sainte Mère de Dieu.

Ne méprisez pas nos prières

quand nous sommes dans l'épreuve,

mais de tous les dangers

délivrez-nous toujours,

Vierge glorieuse et bénie.

Amen.